Si le temps était une ligne, ça ferait bien longtemps qu'un connard l'aurait sniffé. Genre moi. / Mirage

« PUTAIN MAIS TU PEUX PAS BAISSER ? »

Prodigal était en train de pousser une de ses célèbres gueulantes contre son plongeur, qui pour toute réponse, augmenta le volume de sa musique où un type énervé crachait des paroles vulgaires. Prodi souffla par le nez, agacé, mais s'occupa plutôt de retourner ses steaks, commandés par une petite famille crasseuse – papa 1, papa 2, maman et la gamine, il avait pas posé de question, il était cuistot pas flic.

La viande en train de griller embaumait toute la pièce d'un seul tenant du dinner ; il était un peu tôt encore pour manger, 11H seulement, mais Inigo fonctionnait sur de larges plages horaires de toute manière.
Il refusait quasiment jamais de faire à manger à quelqu'un qui avait faim et de quoi payer. La clochette qui saluait joyeusement l'arrivée de nouveaux clients retentit et il releva son regard vert de la cuisson de ses steaks et de l'organisation d'une assiette de vagues crudités.
Il en était fier de ses crudités p'tain il avait quasi du se battre avec une matrone respectable au marché pour les ramener au restau !

« Tiens salut Mirage, ça faisait un moment ! Ça va ? »

Il aimait bien Mirage, qui était charmant quasiment en toutes circonstances, et qui amenait immanquablement une touche gouailleuse & d'aventure dans le dinner.
Bon en outre, il lui avait demandé un petit service récemment.

Graaaouuuuu. Loin d'être un mythe comme celui du Loch Ness, le monstre du bidou se réveillait et  Sammy grogna en se redressant dans son pieu comme un zombie hors de sa tombe P'tain j'ai la dalle ! C'était toujours comme ça quand il avait la gueule de bois, fallait qu'il bouffe. Et il savait où, comme toujours. L'Underdiner: meilleurs hamburgers du coin, des frites grasses à souhait, de quoi se requinquer ! Ignorant le corps féminin alangui dans les draps, il se leva du matelas défoncé et douteux et vérifia la couleur de ses yeux dans le miroir - c'était la première chose qu'i faisait le matin, avant même de pisser - gris foncé, adéquat pour une journée gueule de bois. Il alla pisser - seconde étape - puis sauta dans son jean crasseux, enfila un tee-shirt, sweat à capuche avec une tête d'ours dessinée dessus et il fila au Diner le plus réputé de l'Underground. La première chose qu'il capta - difficile de faire autrement - fut la musique assourdissante qui lui défonça les oreilles faisant vibrer son pauvre cerveau encore empâté dans les brumes de le veille "whou, ça décoiffe. C'est pas le dernier morceau de DJ Fuury ? ça dépote grave."

Il s'approcha de l'endroit où Prodigal officiait et de la main, il salua le mec de l'ombre - le plongeur - avant de reporter son attention sur le cuistot. "Salut ma caille, t'vas bien ? Moi ça va, un peu trop déchiré mais ça va." Tournant le dos à la salle, cachant l'assiette en préparation aux yeux du monde mais pas de Prodigal, ily piqua sans vergogne une pincée de carottes râpées. Il l'avala et mâcha pour en apprécier le côté inhabituel et croquant. Il se jucha sur un des tabourets haut du comptoir. "Un Hamburger triple bacon, triple cheese et des frites avec la sauce qui arrache, là t'sais la verte fluo. Au wazabi. Merci ma caille... 'tain y a pas grand monde, l'est quelle heure en fait ? " Il passa une main dans ses cheveux en pétard, ayant oublié de les discipliner avant de sortir. Un implant de coiffure parfaite - cheveux si soyeux qu'ils ne s'emmêlent pas - faudrait qu'il y pense un jour.

Le plongeur voulut bien baisser le son maintenant qu'ils avaient un client au comptoir, et Prodigal allongea une rapide claque de cuillère sur les doigts de Mirage – ceux qui ne tenaient pas les carottes râpées.

« Tch ! Tu mangeras dans ton assiette, goinfre. Ouais c'est le dernier morceau de son héros, il y est question de niquer les Perfect comme d'habitude », soupira-t-il.

Pas qu'il ait pas vraiment envie avec son histoire, mais, disons que plus il se tenait éloigné de ces bestiaux-là, au mieux il se portait, le Prodigal.
Il avait un peu de mal à pardonner certains trucs, et avait foutu tous les Perfect dans le même sac avec un manque de discernement qui lui était parfaitement habituel. Le regard de chat vert se porta sur le visage de Mirage.

« C'est vrai que t'as l'air d'avoir passé une nuit agitée. Quelque chose à fêter ? Moi ça va, comme d'habitude. C'est normal il est que 11h. »

Il officia habilement à terminer les assiettes, jeta un coup d'oeil à son client.

« Tiens tu veux pas me rendre service et aller leur porter tout ça ? »

Il désigna d'un coup de menton la famille décomposée-recomposée assise dans un coin de la salle.

« Comme ça j'm'attaque plus vite à ta commande. »

Inigo tira un clin d'oeil et sans attendre la réponse, se pencha pour choper la fameuse sauce verte fluo dans le frigo.

Mirage prit une mine faussement contrite, de toute façon il n'était pas sur que les gueules d'amour dans son dos sachent apprécier les carottes. La plupart étaient tellement habitués à la bouffe hyper sucrée aux textures adoucies par les gélifiants qui vous coulaient direct du gosier dans l'estomac que dès que ça sortait de ça, ils grimaçaient - pour les plus polis - ou recrachaient tout comme une pute qu'a pas été payée pour avaler. "Niquer les perfect, une bonne thématique ça. J'adore le son Perfect Fuck de Nihilistic. Son dernier Cyber-concert, tu l'as vu ? Génial!"

Mirage afficha une expression comique de surprise et de désespoir outragé. "11h ? Quoi ? Putain mais qu'est-ce que je fous là ? C'est une hérésie d'êt'es debout si tôt ! Fallait vraiment que j'ai la dalle. 'coute, t'sais comment ça s'passe, tu sors boire un verre, un type te propose un Jellyshoot et tu te retrouves à te réveiller au matin avec  dans ton pieu une meuf dont tu t'souviens pas du visage. Très joli cul par contre."

Mirage soupira parce qu'une fois de plus Prodigal le prenait pour son serveur. Mais qu'est-ce qu'il ne ferait pas pour son hamburger. Il ravala donc la pique qui le démangeait avant de saisir les assiettes en les mettant en équilibre comme un vrai pro pour aller les porter à la famille Adams qu'il trouvait plus décomposée que recomposée ou alors recomposée comme un nugget bas de gamme au poulet. "M'sieurs, Dame, vos plats ! Avec les compliments de Prodigal. Les trucs oranges, c'est des carottes, vous en privez pas ça rend aimable." Il posa les assiettes bruyamment sur la table.

Le regard vert, de basilic, de Prodigal foudroya l'air désolé très bien imité de Mirage :

« Je sais que tu t'en fous hein ! »

Il lui tourna toutefois le dos en faisant preuve d'une absence d'à propos absolument terrifiante ; à vrai dire avec ses soucis d'affection, Prodi était nul pour engueuler les gens. Il ne voulait surtout pas risquer qu'on lui tourne le dos, ça lui faisait trop mal.
Alors il n'avait aucune autorité (et c'était comme ça qu'il entretenait une relation extrêmement tendue avec son plongeur, parce qu'il ne l'avait jamais envoyé chier trop fort, pour ne pas risquer sa dém...)

« J'me suis endormi devant, j'ai trouvé ça vachement long... Et j'étais crevé ce jour-là. Je bosse moi », ricana-t-il avant de charger ce branleur de Mirage d'aller porter les plats. « C'est l'idée d'un de mes burgers qui t'a poussé à te lever aux aurores... ça fait souvent cet effet-là ! »

Il affichait un sacré manque de modestie mais à vrai dire c'était plutôt justifié parce qu'il était vraiment le roi du burger de l'Underground ! Et celui qui en dirait du mal ou y trouverait à redire était pas né, à son avis.
Il s'était pas cogné des études longues & compliquées pour des prunes finalement, même si ses parents adoptifs trouveraient terriblement décevant qu'il fasse des burgers dans un dinner... et que ses parents biologiques n'avaient pas du tout espéré ce genre d'avenir pour lui.

Quand Mirage revint de sa mission, suivi par le regard apathique d'un des mecs de la tablée – qui baissa ensuite son nez vers les carottes avec suspicion –, Prodigal était en train de cuire sa viande.

« Quelles sont les nouvelles, hormis le fait que tu parviennes toujours à pécho en soirée ? »

En revenant vers le comptoir, Mirage hume l'odeur délicieuse de la viande grillée. Ses papilles s'agitent. Il fut un temps où il avait essayé d'être végétarien, pour une fille, ça s'était fini qu'il se cachait pour bouffer des hamburgers et que la fille n'avait pas été dupe. Encore une relation avortée, non pas pour un steak comme elle le lui avait fait remarquer, mais par l'immaturité de la réaction - car-ré-ment infantile, il entendait encore sa voix - de Mirage. "J'te dis qu'ils vont pas manger les carottes mon grand, tu les recycleras dans ta prochaine portion végé."

Mirage fait mine d'être offusqué un bref instant, avant de babiller, le nez frétillant et l'estomac dans les talons. "Evidemment que je pécho toujours ! Tu as vu ce corps de rêve ? humm ? Non mais fait pas genre, je sais bien que tu m'as maté le cul quand j'ai servi les bozo là derrière, hu hu. En vrai c'pas compliqué de pécho aux soirées, tout le monde est défoncé aux substances et personne se souvient de rien le lendemain. Ça s'trouve j'ai juste rêvé que j'me tapais Bee-Yoon C la nuit dernière. D'ailleurs j'crois pas qu'elle soit blonde, donc... Et toi les amours ? Toujours à la recherche du Prince Charmant ? Tu sais qu'ça existe que dans les contes ? En fait j'crois que tu devrais sortir d'temps en temps au lieu de tout le temps bosser. Tiens, tu veux pas qu'on s'fasse une virée un de ces quat' ? Genre, c'soir ? Y a une super rave dans le tunnel de l'ancienne ligne de métro 2F. "